Jérémie Thomas en 3 œuvres d’art – Jury du Prix ICART Artistik Rezo
Suivez le guide ! Jérémie Thomas, créateur du podcast Sens de la visite, met sa voix au service de l’art. Diplômé de l’ICART en 2004, il s’est armé de 15 ans d’expérience dans le monde de l’art contemporain et du design ; d’abord en tant qu’assistant à la Galerie Enrico Navarra à Paris, manager dans de grandes foires telles que Art Paris Art Fair et Art Paris Abu Dhabi, puis directeur du studio de design Ora-ïto. En 2019, Jérémie Thomas lance son podcast et devient en parallèle créateur de contenus audios pour des institutions culturelles diverses. Aujourd’hui, en tant que membre du jury du Prix ICART Artistik Rezo, il se prête au jeu du portrait chinois Artistik.
Jérémie, pourriez-vous vous décrire en deux œuvres d’art ?
Avec plaisir. Comme première œuvre, j’ai d’abord pensé au tableau Les Coquelicots de Monet. C’est l’un des premiers souvenirs d’œuvre dont je me rappelle. J’ai eu la chance d’avoir une institutrice en CP qui nous avait initié à l’impressionnisme et à Claude Monet en particulier. Ça avait été une révélation, un boost de curiosité. J’avais voulu aller à Giverny ensuite, justement pour voir ce fameux champ de coquelicots où Camille, la femme de Monet, se promène avec son ombrelle.
Ce que j’aime aujourd’hui, c’est de ne pas trop savoir pourquoi je l’aimais tant enfant. Qu’est-ce qui m’attirait ? Sûrement les couleurs, la représentation, la douceur du paysage… mais finalement, pourquoi s’attache-t-on à un tableau plutôt qu’à un autre ? C’est ce qui me questionne encore. En tout cas depuis ce jour, j’ai toujours eu en tête de travailler dans le monde de la culture. J’ai entendu dernièrement que ce champ de coquelicots – je trouve ça encore plus beau de l’apprendre à postériori, bien que ce ne soit qu’une interprétation – représenterait les morts de la Commune de Paris, où la couleur rouge des fleurs évoquerait des taches de sang. Cette analyse, qu’elle soit vraie ou fausse, continue d’alimenter pour moi une mythologie.
Comme deuxième œuvre, mon choix s’est porté sur le diable selon Jean-Michel Basquiat. Encore une huile sur toile, mais cette fois 109 ans plus tard. C’est une figure démoniaque façon Basquiat, de cinq mètres de long par deux mètres de haut, avec des mouvements de peinture agressifs, un visage menaçant, et des couleurs rouge, orange, jaune qui peuvent impressionner. Ce tableau correspond à une autre période de ma vie, lorsque j’avais 20 ans et que je débutais mon premier job dans le milieu de la culture. Je travaillais pour la Galerie Enrico Navarra et le propriétaire de l’époque, Enrico Navarra, était l’un des plus grands collectionneurs et marchands de Basquiat, et même un référent.
Ce diable a longtemps été accroché dans la galerie, je l’avais constamment devant les yeux. J’avais du mal à avoir un avis arrêté. Cette figure me paraissait parfois menaçante, parfois sympathique. Et plus je la regardais, plus j’y décelais malgré tout quelque chose d’humain et d’enfantin. Pour le contexte, Jean-Michel Basquiat, artiste américain des années 80 aujourd’hui iconique, a commencé très jeune à dessiner sur les murs de Brooklyn et, en entrant dans une galerie, a été repéré par Andy Warhol. Il a connu une trajectoire fulgurante jusqu’à ses 27 ans, âge auquel il meurt d’une overdose. Je me demande encore si ce diable représente les démons qui l’habitaient, sa dépendance à la drogue, ou est-ce le diable qu’il avait en lui et qu’il n’arrivait pas à contrôler, ou encore sa perception du monde extérieur ? J’ai ressenti une émotion particulière lorsque j’ai appris qu’il était parti aux enchères pour 57 millions d’euros, en 2016. À force de le transporter, de l’emballer, de l’accrocher, je me l’étais malgré moi un peu approprié. Et mettre un chiffre sur ces souvenirs, un chiffre totalement fou, démentiel, m’a rendu plutôt triste. Je crois que la vérité est ailleurs.
À vos yeux, quelle œuvre illustre au mieux la thématique “Lien.s” retenue pour cette 14e édition du Prix ICART Artistik Rezo ?
Pas une œuvre en particulier, mais plutôt l’ensemble du travail du chinois Zao Wou-Ki, peintre de l’abstraction lyrique qui a longtemps vécu en France. Pour moi, cet artiste représente à la fois une troisième partie de ma vie professionnelle, et aussi ce fameux lien. C’est lors de son exposition au Musée d’Art Moderne de Paris en 2018 que j’ai commencé à faire mes premières interviews de personnes devant des œuvres d’art. Je leur demandais ce qu’elles ressentaient – ce qui est l’objet du podcast Sens de la visite, d’étudier, d’écouter l’art par le ressenti des personnes. Le hasard a fait que les tableaux de Zao Wou-Ki s’y prêtaient idéalement.
Cette abstraction lyrique, ces univers non détaillés, ces sensations, c’est comme un kaléidoscope, chacun y voit ce qu’il a envie d’y voir. Je crois que le but de l’art est de ressentir, de manière intime, une émotion qui nous est propre. Avec Zao Wou-Ki, tout est dans la suggestion et l’intuitif, alors ça facilite l’exercice. Je suis souvent retourné voir cette exposition, et j’ai pu y trouver des gens très différents, plus ou moins âgés, de conditions sociales diverses… et tout le monde avait un mot à dire. Il y avait d’emblée une notion de partage. C’est ce qui fait le lien pour moi. C’est en exprimant chacun quelque chose de très personnel qu’on se retrouve dans l’universel.
Propos recueillis par Baudouin Vermeulen
Par ici le Sens de la Visite ! à retrouver sur Spotify, Deezer, Apple Music…
Retrouvez l’exposition du Prix ICART Artistik Rezo du 26 au 27 mars 2022 sur Fluctuart.
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